Dans le cadre de sa collection documentaire “D’arts et de foi” proposée tout au long de l’année 2019, Le Jour du Seigneur diffuse “Dalí, surréaliste et mystique” le 25 décembre à 12h20 sur France 2.

A partir d’une archive sonore totalement inédite, ce documentaire de 26 minutes explore la période “mystique” de Dalí qui a duré les 30 dernières années de sa vie.
Julien Leloup, réalisateur, a répondu à nos questions sur l’élaboration de ce travail.

 

On ne présente plus Dalí, qui compte parmi les plus grands peintres du 20ème siècle. Mais peu connaissent sa face « mystique ». Comment avez-vous eu l’idée d’y consacrer un documentaire ?

Depuis que j’écris et réalise des documentaires, j’ai toujours eu l’envie de faire un portrait de Salvador Dalí… Tout en me disant que beaucoup de documentaires ont déjà été faits sur lui et que cet artiste peut être difficile à suivre. Mon idée était d’occulter quelque peu le personnage grandiloquent auquel on l’associe d’ordinaire.
Le bon angle pour approcher cet artiste, je l’ai finalement trouvé en découvrant les nombreuses peintures de sa période mystique. Notamment Le Christ de Saint Jean de la Croix, une huile sur toile qui vous questionne dès que vous la voyez. Comment le Maître du surréalisme, professionnel de la provocation et du sacrilège, a-t-il pu imaginer et peindre ce Christ ? Pourquoi a-t-il réalisé non pas une mais des centaines d’œuvres religieuses à la fin des années 1940 ? J’en ai fait mon sujet !

 

Les archives sonores qui sont le fil rouge de ce documentaire sont totalement inédites. Comment les avez-vous découvertes ?

En travaillant sur des archives autour de la date « tournant » de sa conversion en 1948, j’ai découvert que Dalí avait eu une amitié avec un frère Carmes français, le Père Bruno de Jésus-Marie, biographe de Jean de la Croix, un mystique espagnol du 16ème siècle. En lisant les études du Père Bruno, il était visible que ce dernier était passionné par Dalí et qu’il essayait de comprendre son retour au catholicisme. Au détour d’un article de 1960, j’ai lu que le Père Bruno avait « enregistré » un entretien avec Salvador Dalí. Alors j’ai tout de suite pris contact avec les archives Carmes ! Après plusieurs recherches, on m’a dit qu’une bande sonore magnétique existait bel et bien. Avec l’archiviste, j’ai écouté cet enregistrement. La bande n’avait pas tourné depuis soixante ans… c’était un moment mémorable ! Nous ne savions d’abord pas à quoi nous attendre, puis nous avons entendu le Père Bruno et, enfin, la voix reconnaissable de Salvador Dalí. Nous avions l’impression qu’ils discutaient à côté de nous. La conversation est à la fois drôle et sérieuse, sincère et naturelle. Cette archive, c’était la pièce maîtresse qu’il me manquait pour bien comprendre la période mystique de Dalí !

 

Que révèlent ces archives en particulier ?

Ce que j’ai vraiment découvert en écoutant l’enregistrement sonore du Père Bruno, c’est que Dalí pouvait être aussi précautionneux et intimidé. On se rend compte dans l’entretien qu’il est en face d’un prêtre et qu’il ne veut pas dire de bêtises théologiques. Je trouvais cela très touchant. Pour avoir lu quelques articles d’époque, je crois que Dalí a eu du mal à être pris au sérieux quand il parlait de sa « mystique nucléaire » et le Père Bruno de Jésus Marie est un des rares à s’y être intéressé. Dalí, plus en confiance du fait de leur amitié, est amené à se clarifier dans cet « entretien-confession ». Cette archive nous aide beaucoup à comprendre le tournant mystique de Dalí.

 

Comment avez-vous orienté vos choix de réalisation pour dessiner ce portrait de Dalí dans un format si court de 26 minutes ?

Le format court de 26 minutes est effectivement une difficulté, mais il m’a permis de concentrer le documentaire sur un tableau et une archive. Je crois que c’est très efficace ainsi.
J’ai tiré ce fil rouge de l’enregistrement sonore du père Bruno, qui revient plusieurs fois dans le documentaire et nous permet d’entendre Dalí pendant plus de 7 minutes. Mais je trouvais intéressant d’y mêler une autre tonalité : cette archive, dans un ton très naturel et en toute intimité, pouvait être mise en contraste avec tous ces passages où Dalí est en représentation à la télévision. On découvre ainsi par contraste le Dalí « star » des plateaux de télévision et le Dalí « normal » chez lui.
L’autre fil rouge qui me paraissait vraiment évident, c’est le tableau du Christ de Saint Jean de la Croix au musée Kelvingrove de Glasgow. L’histoire se devait de commencer devant ce tableau incroyable qui a été le point de départ de toutes mes interrogations. Avec l’intervention de conservateurs de musées écossais et espagnols, mais aussi la participation d’un théologien et d’une biographe, on arrive progressivement à reconstituer le « puzzle Dalí » et à comprendre son tournant mystique.

 

Qu’apporte cette dimension mystique à la compréhension de l’œuvre et du personnage de Dalí ?

Quand je parle de Dalí autour de moi, beaucoup de personnes ont en tête les premières années, la période « paranoïaque critique », le tableau où l’on voit les montres molles etc. … Ensuite, certains parlent du personnage grandiloquent, avec les moustaches réglées à 10h10 qui excelle devant les caméras. Dalí qui fait des happenings, qui provoque, qui transgresse, qui raconte des histoires absurdes… La star de la télévision.
Ce n’est évidemment qu’une partie du personnage : l’intérêt est de contourner tout cela pour approcher le Maître du surréalisme. Le meilleur moyen pour moi a été de me concentrer sur cette période d’après 1948. C’est un moment où Dalí rentre chez lui avec Gala, se recentre sur sa famille et renoue même avec son père, avec qui il était fâché… Cette date coïncide avec toute cette nouvelle production artistique de la « mystique nucléaire » chez Dalí. Il y a une cohérence qui s’installe dans sa vie et dans son œuvre à ce moment-là et nous permet d’en apprendre beaucoup sur lui, sur ses tourments et ses questionnements depuis l’enfance.

 

Il ne s’agit pas de votre première réalisation au sein du CFRT. Que vous apporte cette collaboration dans votre métier de réalisateur ?

C’est ma deuxième collaboration avec le CFRT en tant qu’auteur-réalisateur. En 2017, j’ai pu réaliser un grand documentaire d’histoire de 52 minutes sur la publication des « 95 thèses » dans ce contexte foisonnant des Réformes de l’Eglise au 16ème siècle. Mais avant cela, j’ai surtout eu un lien avec le CFRT parce que j’ai consacré mon mémoire de Master d’histoire sur l’émission Le Jour du Seigneur, sur la problématique de la « mise en scène du culte catholique à la télévision française ». J’aime beaucoup cette institution fondée par Père Pichard et la bienveillance des personnes qui y travaillent. A la sortie de mon école de journalisme à Tours, j’ai eu l’opportunité d’adapter mon master d’histoire en un documentaire de 52 minutes, « La case du Christ » produit par Kilaohm productions et diffusé en 2014 d’abord sur la chaîne Histoire puis dans « Le Jour du Seigneur » sur France 2. Ce premier documentaire, également construit avec beaucoup d’archives passionnantes, m’a donné le goût des documentaires d’histoire.

 

Avez-vous des projets de réalisations futures pour 2020 ?

Avec plusieurs producteurs, je développe des documentaires de 52 minutes sur l’histoire contemporaine et aussi des portraits d’artistes que j’admire beaucoup, plutôt dans le domaine du cinéma. Je termine également la réalisation de deux documentaires mêlant histoire et religion. D’abord, un portrait de l’agronome célèbre du 16ème siècle, Olivier de Serres, dont on commémore les 400 ans de la mort. Le documentaire est produit par BO Travail et sera diffusé en février 2020 dans l’émission « Présence protestante » sur France 2. Je termine aussi un documentaire pour le CFRT sur des « cathédrales ressuscitées ». Ce documentaire revient sur les résurrections de trois cathédrales : Notre-Dame de Reims, Notre-Dame de Rouen et Saint-Pierre de Nantes, toutes mutilées au 20ème siècle par les guerres ou les accidents, mais aujourd’hui réparées et resplendissantes. Ce documentaire sera diffusé le 12 avril 2020 dans l’émission « Le Jour du Seigneur » pour l’anniversaire de l’incendie de Notre-Dame de Paris.

 

Propos recueillis par Marguerite Henry

 

Teaser du documentaire :