A l’heure où la nouvelle plateforme de gestion de l’entrée dans l’enseignement supérieur mobilise étudiants et enseignants, le film Etudiants, l’avenir à crédit de Jean-Robert Viallet (production CFRT/Arte France) sur la mutation du financement des études dans les grandes universités du monde pose le débat.
Entretien avec le réalisateur Jean-Robert Viallet
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Quelle est l’origine de votre projet ?

Emmanuelle Dugne, du CFRT, m’a proposé de travailler sur les mutations de l’enseignement supérieur aujourd’hui. Dans le monde, on comptait treize millions d’étudiants au milieu des années 1960, deux cents millions en 2015 et on en attend quatre cents millions en 2020 ! J’ai choisi de me concentrer sur un phénomène presque mondial : l’augmentation des frais de scolarité.

Selon vous, le savoir devrait être gratuit ?

La transmission du savoir, oui. Traditionnellement, nous pensons que l’enseignement n’est pas une marchandise. Des économistes reconnus assurent que nos sociétés n’auraient aucune difficulté à financer un enseignement supérieur gratuit pour tous. Selon moi, faire payer relève de l’idéologie, non de la nécessité. Pour la Nation, comme pour les familles, étudier c’est un investissement sur l’avenir.

Pour mener votre enquête, quels pays avez-vous visités ?

Aucun travail n’a été mené à l’échelle mondiale sur le mouvement de marchandisation de l’enseignement supérieur. Avec la France, j’ai choisi d’enquêter dans cinq pays : Allemagne, Angleterre, Chine, États-Unis et Suède. La dette étudiante aux États-Unis est de mille trois cents milliards de dollars. En Angleterre, l’enseignement supérieur va bientôt coûter plus cher à l’État qu’au temps de la gratuité du fait du non-remboursement des crédits par les étudiants.

Qu’en disent les étudiants ?

Leurs aînés, il y a quarante ans, profitaient d’une ouverture formidable et souvent d’une ascension sociale. Aujourd’hui, les étudiants sont tenus par la peur du chômage. Dans tous les pays, j’ai rencontré des enseignants qui défendent l’universalisme, l’enseignement pour tous. L’université devrait permettre à des individus de se construire un bagage culturel et un esprit critique, afin de réinventer la société, de l’améliorer. Des jeunes endettés — durant vingt ans dans les pays anglo-saxons — ne peuvent être ceux-là. Aux États-Unis, la culture de l’université payante est récente. Il y a toujours eu des lieux privés pour l’élite, du type Harvard. Mais il y a trente ans, beaucoup d’universités étaient gratuites. Aujourd’hui, il en coûte soixante-dix mille dollars par an, avec le logement. Dans les esprits, l’idée qu’il fallait payer s’est installée comme une norme culturelle.

Comment la France se comporte-t-elle dans ce mouvement ?

Pour l’instant, notre pays résiste. Vouloir faire payer l’université mettrait des millions d’étudiants dans les rues, ce qui effraie les gouvernements. Pourtant, à gauche comme à droite, les pressions sont vives pour progressivement instaurer le modèle payant. Les universités de Paris Dauphine et Science-po Paris demandent des frais d’inscription, servant de laboratoires. En Angleterre, on a commencé par réclamer mille livres. Dix ans après, c’est neuf mille ! Cela devrait nous faire réfléchir. Le monde de l’enseignement supérieur est global et toutes les universités sont prises dans le rêve d’une course à l’excellence. La France n’est pas la seule à résister. L’Allemagne a instauré des frais en 2006 (mille euros par an). Elle a progressivement fait marche arrière. En Suède, l’université demeure gratuite pour les jeunes de l’Union européenne.

Votre sujet est-il débattu partout dans le monde ?

Oui, car la question se pose partout. Mais la tendance dominante est à l’instauration de frais d’inscription. Nombreux sont ceux qui ne voient pas où se situe le problème puisque les jeunes peuvent recourir au crédit. J’ai donné la parole aux partisans des deux camps. Mais un peu plus à ceux qui critiquent cette évolution vers le payant. Même si je sais qu’un film ne va pas changer le monde…

Propos recueillis par Philippe CLANCHÉ

Filmographie de Jean-Rovert Viallet

Prix Albert Londres 2010, Jean-Robert Viallet a commencé par l’image en travaillant sur des longs métrages avec Tony Gatlif, Michael Winterbottom ou encore  Lars Von Trier et sur de très nombreux films documentaires avec des réalisateurs comme  Patrick Barbéris,  Eric Deroo, William Karel, Malek Bensmail, etc… Depuis le début des années 2000 il réalise ses propres films documentaires.

2015 Jusqu’à ce que la mort nous sépare  – Documentaire 70mm – Yami 2 Productions /  France 2 et Le mauvais oeil Documentaire 70mm – Yami 2 Productions /  France 2

2013  La France en Face – Documentaire 90mn – Yami 2 Productions /  France 3

2011  Manipulations, une histoire française-  Documentaire 6x60mn – Yami 2 Productions /  France 5 Etoile de la SCAM 2012

2010 Le temps de cerveau disponible – Documentaire 60mn – Yami 2 Productions /  France 2

2009 La Mise à Mort du Travail – Documentaire 3x65mn (co-réalisé avec Mathieu Verboud) – Yami 2 Productions /  France 3 Prix Albert Londres 2010 / Etoile de la SCAM 2010 / Prix du meilleur  documentaire 2010 ( syndicat français de la critique de cinéma et des films de télévision) / Prix spécial du public Festival « Filmer le travail » de Poitiers 2009 / 1er Prix – Festival ImagéSanté 2010, Liège / Prix CB news 2010.

2007 Une femme à Abattre – Documentaire 82mn (co-réalisé avec Mathieu Verboud) – Zadig Productions / Canal + / SBS Australie/RTBF Prix de l’investigation du FIGRA 2007

2005 Les Enfants Perdus de Tranquility Bay – Documentaire 87mn (co-réalisé avec Mathieu Verboud) – Production : Zadig Productions / France 2 / TSR / SBS Australie / RTBF Mention spéciale du jury au FIPA 2006. Sélectionné dans de très nombreux festivals dont : IDFA (Amsterdam), Tessalonik Film Festival (Grèce), Festival des droits Humains de Paris, Varsovie, Amiens etc…

2003 Le pied dans la porte – Documentaire 70mn. Centre d’art contemporain du Palais de Tokyo

2003  L’homme – Court-métrage 13mn.

2001 Les Hommes-Lieux du Yassur – Reportage 13mn – VM Productions / France3.


Etudiants, l’avenir à crédit de Jean-Robert Viallet est une production CFRT avec Arte France.
Pour aller plus loin, découvrez la production web [CFRT/ Arte] qui accompagne la diffusion du film Etudiants, l’avenir à crédit sur le site d’Arte.
Réécouter l’émission L’université avec Jean-Robert Viallet du 19 mai sur France Culture. Mardi 23 mai, Jean-Robert Viallet était à nouveau invité de France Culture qui consacre toute sa semaine à la question de la dette étudiante suite à la sortie du film. Réécoutez le dialogue à partir de son film.
Lire la très bonne critique du documentaire Etudiants, l’avenir à crédit dans Télérama.