“Rencontres” – Marie-Christine Gambart. Dans cet entretien exclusif, la réalisatrice nous livre son intérêt pour les personnages mythiques qu’elle aime revisiter à travers le prisme de la foi.

Dimanche 18 juin 2017  sur France 2 a été diffusé le documentaire Charles de Gaulle, la foi du Général. Interview croisée de Marie-Christine Gambart, réalisatrice du film, et de Gérard Bardy, journaliste et écrivain, co-auteur.

Comment vous est venue l’idée de faire un film sur la foi du général De Gaulle ?
Marie-Christine Gambart. Travailler avec le CFRT m’a donné l’occasion de faire les portraits d’artistes ou de politiques sous l’angle de leur foi. Cela permet de découvrir une autre facette de personnalités publiques que l’on croyait connaître… J’ai découvert fortuitement la foi du général de Gaulle à travers un documentaire, qui m’a donné envie d’en savoir plus. J’ai dévoré le livre de Gérard Bardy, « Charles le catholique », et l’ai contacté pour lui proposer de travailler sur ce projet de documentaire…

Gérard Bardy. Le fils du Général, l’amiral Philippe de Gaulle, m’avait dit: “Il y a plus de 1.700 livres écrits sur mon père mais tous disent la même chose. Ils parlent de l’homme politique patriote alors que mon père marchait sur ses deux jambes: son patriotisme et sa foi chrétienne. De cette dernière, nul ne parle jamais. J’ai donc fait 18 mois de recherches dans des fonds d’archives publics et privés pour découvrir que de Gaulle était en effet une sorte de dernier roi chrétien, que sa foi a tout au long de sa vie inspiré sa vie d’homme, de soldat et de chef d’Etat. Par centaines, ses actes les plus importants sont dictés par sa foi et sa culture catholiques, ce que nous montrons dans « Charles De Gaulle, la foi du Général ».

Comment expliquez-vous que cet aspect de la vie du Général soit si peu connu du grand public ?
Gérard Bardy. On n’a retenu de De Gaulle que l’homme du 18 juin 40, le libérateur de la France, le fondateur de la Vème République et celui qui a, dans le tumulte, donné l’indépendance à l’Algérie. La grandeur de son rôle dans l’Histoire a masqué cette identité catholique, d’autant plus qu’il tenait à cantonner strictement sa foi dans le domaine privé. Président chrétien d’une République laïque.

Marie-Christine Gambart. Effectivement, De Gaulle ne révélait absolument rien de sa vie privée. Si le film « De Gaulle intime », de René-Jean Bouyer,  adaptation du best-seller de l’Amiral de Gaulle et de Michel Tauriac (« De Gaulle, mon père »), a dévoilé quelques aspects de son intimité, il n’en reste pas moins que les De Gaulle ne faisaient pas état de leur pratique spirituelle en public. De plus, De Gaulle était avant tout républicain, il ne faut pas l’oublier. Il n’avait pas envie de choquer les Français en évoquant sa foi.

Si pour De Gaulle la foi doit rester dans le domaine privé, son enracinement chrétien n’a-t-il pas eu une influence décisive sur certaines décisions politiques ?
Marie-Christine Gambart.
C’est évident. Ce n’est d’ailleurs pas tant son enracinement chrétien que sa foi, tout simplement, qui l’a guidé. Certains événements historiques, comme la réconciliation franco-allemande, prennent une tout autre couleur lorsqu’on les regarde par le prisme de sa foi. La lecture des encycliques papales, par exemple, a fortement influencé sa politique sociale, tout comme son engagement envers les pays du tiers-monde. Son mépris de l’argent, sa curiosité pour le monde, son attention aux plus pauvres, son respect de la morale tant privée que publique…sont inspirés par sa foi. Il était néanmoins hors de question que l’Eglise ou le Vatican s’immiscent dans les affaires de la France.

Gérard Bardy. Sur beaucoup de ses décisions plane l’ombre de ses convictions religieuses. Quand, en 1940, il part pour Londres et fonde La France Libre, il vit ça comme une croisade. Il parle souvent de Jeanne d’Arc. Quand il crée l’Ordre de la Libération, il songe à l’appeler l’Ordre des croisés de la Libération. Quand il détermine sa politique sociale, la fameuse “participation”, il s’inspire effectivement de la doctrine sociale de l’Eglise et des deux encycliques qui traitent de ce sujet. Quand il fait voter, contre l’avis du Vatican, la loi sur la contraception, c’est après avoir reçu le témoignage de plusieurs mères-supérieures de couvents sur la souffrance et le désespoir des femmes conduites à avorter clandestinement en cachette de leur famille…  Et les exemples sont nombreux de ce regard chrétien sur de grandes décisions.

Vous évoquez également dans votre film l’histoire de la fille de De Gaulle…
Marie-Christine Gambart. Peu de Français connaissent l’histoire d’Anne, fille du général De Gaulle atteinte de trisomie. Nous en avons entendu parler il y a deux ans, au moment de la polémique de Charlie Hebdo, qui avait publié une caricature glauque de Nadine Morano présentée comme « la fille cachée trisomique de De Gaulle ». De Gaulle a beaucoup soutenu sa femme, Yvonne, dans cette épreuve. On imagine ce que c’est d’avoir une enfant trisomique en 1928… Cette relation à Anne l’a fait combattre la barbarie hitlérienne et son projet d’extermination des malades mentaux avec une force encore plus importante.

Avez-vous rencontré des difficultés dans l’élaboration du film ?
Marie-Christine Gambart.
Pas particulièrement. Nous avons pu interviewer les proches de De Gaulle, le Père François, neveu du Général, Laurent de Gaulle, son petit-neveu, auteur du livre « Une vie sous le regard de Dieu », et Anne de Larouillère, petite-fille du Général.
Peu d’images d’archives exprimant véritablement la foi de De Gaulle, hormis les images des visites officielles au Vatican ou ailleurs, nous avons eu l’idée d’illustrer cette facette de sa vie en faisant appel à Christophe Marjolet, dessinateur. Il a par exemple représenté, pour les besoins du film, la chapelle que De Gaulle avait fait installer à l’Elysée et où il communiait à l’abri des regards.

Quelle résonance particulière a votre film dans le contexte social et politique actuel ?
Gérard Bardy.
De Gaulle a laissé un message qui fait sa force, dans le contexte actuel plus que jamais. Il disait que la France, ce n’est pas la droite, que la France, ce n’est pas la gauche, que la France, c’est tout cela réuni, c’est une volonté, un destin commun, un dépassement de tout un peuple. Cette leçon de réconciliation et de tolérance, de fraternité et de respect, est d’une terrible actualité.

Marie-Christine Gambart. Il semblerait que le poids des religions prenne de plus en plus de place dans l’actualité, au point de brouiller le discours des politiques. Le fondateur de la Vème République a toujours été respectueux des traditions républicaines tout en pratiquant sa foi. Il a toujours revendiqué la vocation chrétienne de la France, ce qui sur le plan historique est une évidence, y compris pour les communautés musulmanes ou juives. Cela peut par ailleurs prêter à sourire de voir les politiques actuels se réclamer de De Gaulle sans pour autant être, loin s’en faut, des exemples d’honnêteté…

Propos recueillis par Émilie Dupont