Gutenberg, un inventeur aux méthodes modernes

Le documentariste Marc Jampolsky a réalisé un long métrage (90 minutes) diffusé une première fois en 2017 et rediffusé ce jeudi 7 novembre à 9h25 sur Arte. Le CFRT est co-producteur de ce documentaire, produit par Seppia Film, société basée à Strasbourg et qui a accompagné Marc Jampolsky dans un film sur la cathédrale alsacienne. Gutenberg, l’aventure de l’imprimerie a été préacheté par une douzaine de télévisions dans toute l’Europe et en Israël.

A l’occasion du montage du film qui avait eu lieu dans les locaux du CFRT à Paris, nous avions rencontré le réalisateur Marc Jampolsky.

Pourquoi avez-vous choisi de réaliser un film sur Gutenberg ?

Tout le monde connaît son nom. Mais que sait-on vraiment, à part qu’il est le père de l’imprimerie.  À travers lui, nous avons voulu raconter comment et pourquoi une invention aussi déterminante a pu voir le jour à la fin du Moyen Âge, dans cette région du Bassin rhénan. Aujourd’hui, cette histoire entre en résonance avec notre société, confrontée à une autre révolution, l’internet. Hier comme aujourd’hui, le bouleversement fut radical.

Que sait-on de la vie de Johannes Gutenberg ?

Peu de choses. Il naît vers 1400 dans une famille bourgeoise de Mayence. Il quitte cette ville et l’on perd sa trace, que l’on retrouve plus tard à Strasbourg. Gutenberg cherche alors à multiplier les enseignes de pèlerinage, des objets vendus aux pèlerins et contenant un miroir censé retenir les rayons des reliques présentées pour l’occasion. On sait qu’il a trouvé une méthode de production en série de ces miroirs.

Habile et inventif, était-il également doué pour le commerce ?

Oui, Gutenberg sait déceler des marchés, monter des sociétés et rédiger des contrats. Sa capacité à sentir l’air du temps en fait un homme très moderne. Avec nos mots d’aujourd’hui, on peut le définir comme un créateur de start-up.

Quelle place occupe la Bible dans son parcours ?

L’idée que Gutenberg s’est consacré à l’impression de la Bible par conviction religieuse est un mythe. C’est un inventeur, pas un prêcheur. Il se lance dans un projet quand il pense pouvoir en tirer bénéfice : des grammaires destinées à l’Université, des calendriers commandés par l’Église pour mobiliser les chrétiens contre l’invasion des Turcs, alors à l’assaut de Venise.

On sait qu’un financier de Mayence a prêté à Gutenberg une somme importante pour ce projet démesuré, puis a investi à nouveau avec intéressement. Ce qui prouve que l’aventure était prometteuse. Ainsi, Gutenberg a pu se lancer et embaucher des ouvriers. Sa Bible marque un saut qualitatif. L’ouvrage est mieux travaillé en typographie, dans un meilleur papier.

S’il a vendu sans mal les 70 exemplaires réalisés, l’imprimeur n’est pas rentré dans ses frais. Pourtant, par souci d’économie, il est passé de 40 lignes à 42 lignes par page et il a renoncé à la bichromie. Certains historiens avancent qu’il a détourné de l’argent. Je pense plutôt que le projet était de toute façon déficitaire.

Que fait-il ensuite ?

Gutenberg revient à des petites publications, des calendriers, des lettres d’indulgence. Il s’agit de formulaires qui laissent l’espace pour rajouter le nom de la personne et la somme donnée. Il finit ses jours en 1468, sans gloire, dans un foyer, avec une rente de l’évêque de Mayence. Il n’a jamais vu l’explosion de son invention, dix ans plus tard. Dans le demi-siècle qui suit, 25 millions de livres sont publiés. Les humanistes s’emparent de ce moyen de production tout comme les meneurs de la Réforme, avec la Bible en allemand.

Si sa biographie est lacunaire, sur quels documents avez-vous travaillé ?

Gutenberg a été concerné par plusieurs affaires judiciaires dont les actes sont disponibles. Ces procès racontent une conception en cours. Si, secret industriel oblige, les protagonistes évoquent une “chose” ou une “oeuvre”, des expressions révélatrices apparaissent : presse, forme à faire fondre, impression. Nous les avons utilisé pour reconstituer des scènes. Mais nous ne disposons pas d’assez de matière pour réaliser une véritable biographie du personnage Gutenberg.

D’où le choix de faire un docufiction

Oui ! Nous mettons en scène un Gutenberg un peu mystérieux, car nous restons dans une fiction, pas dans un biopic avec “notre” Gutenberg reconstitué. Le coréalisateur Éric Morfaux, scénariste de théâtre et de cinéma, a contribué à l’enchainement du récit. Les techniciens (décorateurs, costumiers), venus de la fiction ou du documentaire, travaillent pour les deux parties du film. Les scènes reconstituées occupent la moitié des 90 minutes du film. Nous avons voulu raconter un contexte, un environnement économique et sociétal, un cadre pour que l’invention naisse.

Pourquoi avez-vous voulu mettre en scène votre enquête ?

Ce mode de récit fonctionne bien. On attrape le spectateur avec des “pourquoi”, des “comment.” Il nous a fallu chercher des éléments. Nous avons travaillé avec des historiens, dont Guy Bechtel. Avec Olivier Deloignon, spécialiste des techniques de typographies, nous montrons notre travail d’archéologie du livre. Ainsi, nous avons reconstitué avec une imprimante “3 D” deux caractères de plomb qui sont restés sur le papier, et dont la forme a été imprimée, comme un fossile. Olivier Deloignon présente devant la caméra son cheminement. Puis, des séquences reconstituées sont proposées. N’étant pas un historien spécialiste, je perdrais en crédibilité en assénant des vérités. Je montre l’enquête et ma façon de comprendre l’histoire. Pour le spectateur, il est plus amusant d’être embarqué dans notre aventure.

Propos recueillis par Philippe Clanché

D’autres films de Marc Jampolsky

Marc Jampolsky a une filmographie importante. Parmi ses documentaires récents, Le Défi des bâtisseurs diffusé sur Arte en 2012, et assorti d’un développement digitale (webdoc, application mobile), a été plébiscité par les médias et le public.

Extrait du film Le défi des bâtisseurs

L’aventure transmédia au coeur des cathédrales gothiques sur le site d’Arte